Conjoncture : Après la crise du Covid-19 et les fermetures successives des frontières, quelle est aujourd’hui la situation pour les acteurs du tourisme au Maroc ?
Hamid Bentahar, Président de la Confédération Nationale du Tourisme : Comme vous le savez, cette crise a mis en lumière le poids réel du secteur au-delà des 12 % du PIB, des 138 milliards de dirhams de recettes touristiques par an, dont 80 milliards en devises, un secteur qui traverse depuis 22 mois la crise la plus grave et la plus longue qu’il n’a jamais vécu. Le manque à gagner pour notre industrie est estimé à 160 milliards de dirhams.
L’ensemble des acteurs de l’écosystème du tourisme, que ce soit les guides, les restaurateurs, les agents de voyages, les hôteliers, les transporteurs touristiques…, ont traversé deux années extrêmement difficiles dont certains auront du mal à se relever. Ceci est le premier constat. Maintenant, depuis la réouverture de l’espace aérien, le 7 février dernier, nous percevons des signaux encourageants ainsi que les prémices d’un début de reprise. Plusieurs compagnies ont recommencé à programmer le Maroc. L’ONMT a d’ailleurs fait un travail considérable pour l’aérien et la promotion sur les principaux marchés qu’il faut saluer.
Cependant, nous n’avons pas encore récupéré notre part naturelle d’activité.
L’exigence du pass vaccinal et d’un test PCR alors que nos concurrents demandent aujourd’hui l’un OU l’autre, reste très contraignant et décourageant pour bon nombre de voyageurs, de tour-opérateurs et de compagnies aériennes. Un changement de paradigme est nécessaire pour donner toute sa valeur et tout son sens à la vaccination et ses effets positifs avec des règles de mobilité et d’accès au Royaume alignées sur les meilleures pratiques internationales. Cela permettrait d’accélérer les conditions de la relance et de retour à une activité normale.
Quelles sont les régions et les professions les plus sinistrées ? Avez-vous des statistiques concernant les fermetures d’établissements ou d’agences touristiques ?
Toutes les régions et toutes les professions sont touchées. Bien évidemment, ce sont les plus endettés et les petites structures qui sont les plus vulnérables, mais même les grandes entreprises et les grands groupes hôteliers qu’on aurait pensés plus résiliants, subissent également une dégradation importante de leur trésorerie et de leurs fonds propres. Les petits comme les grands sont en grande difficulté.
Il n’y a pas de statistiques à ce jour, mais ce que je peux vous dire c’est qu’un grand nombre d’établissements, soit 80 % du tissu de notre industrie, ont dû fermer et ont du mal aujourd’hui à se remettre à niveau pour pouvoir reprendre une activité viable. Il est donc impératif, de continuer à améliorer et à optimiser les dispositifs de mesures de contingence nécessaires à la sauvegarde des emplois et du tissu des entreprises au niveau national autour d’un message commun de solidarité et de détermination pour ne laisser personne de côté.
Le tourisme marocain a également besoin de politiques de soutien mieux synchronisées dans l’ensemble des territoires, avec un accompagnement technique et financier au niveau de chaque région. Cela permettrait d’accélérer la relance de l’ensemble de l’écosystème et de renforcer la compétitivité du secteur qui devra ainsi s’adapter aux nouvelles réalités du marché et au comportement des visiteurs.
L’objectif est d’entamer la transformation postcrise et de traduire les menaces en opportunités en vue de stimuler la création d’emplois et l’investissement dans de nouvelles expériences « nature et aventure », dans les activités de loisirs, d’animation, d’écotourisme en zones rurales ou encore d’encourager un développement équitable des territoires et une diversification responsable dans
le tourisme durable, dans le tourisme de santé, le tourisme sportif, culturel…
Afin de favoriser le développement de cette nouvelle o »re, il est aussi nécessaire de mettre en œuvre les évolutions structurelles des métiers et des écosystèmes, à travers le renforcement des capacités des associations professionnelles et des fédérations intervenant sur la chaîne de valeur. Des « contrats progrès » permettraient ainsi d’améliorer la compétitivité des acteurs, de même que des mesures favorisant l’innovation et la digitalisation ainsi qu’une o »re de formation spécifique en faveur de leur professionnalisation.
Quel est votre regard sur le plan d’urgence pour la relance du secteur du tourisme récemment annoncé par le Gouvernement ?
Cette première aide est une bouffée d’oxygène importante pour une partie des acteurs du secteur. Nous regrettons cependant que l’ensemble de l’écosystème du tourisme ne soit pas concerné par cette aide. Nous nous réjouissons à présent de les voir progressivement intégrer au dispositif.
À côté de cela, l’équité fiscale doit prévaloir en matière de soutien et d’aides de l’État pour l’ensemble des métiers sans préjudice pour les entreprises ayant fait l’e »ort de s’acquitter de leurs impôts, au prix d’un endettement aggravé pour 2020 et 2021. 2020 fut une année particulièrement difficile pour notre secteur et la prise en charge des intérêts intercalaires de cet exercice devrait être également reconduite dans ce plan, au même titre que l’année 2021.
La pandémie a-t-elle remis en cause les fondamentaux du secteur ? Le Maroc doit-il revoir son offre et sa stratégie touristiques ?
Au niveau mondial, le secteur doit revoir son offre et sa stratégie en matière de demande touristiques. Cependant, les fondamentaux de notre pays sont là et ils sont très bons à condition qu’ils soient accompagnés de mesures de soutien adéquates.
Notre o »re est riche et variée avec des territoires aux multiples facettes, un concentré de patrimoines matériels et immatériels, d’expériences et de paysages d’une beauté à couper le souffle.
Cette diversité c’est notre force.
Au niveau de la demande, l’envie de la destination Maroc n’a jamais été aussi forte et notre pays a démontré une réactivité remarquable dans la gestion de la crise sanitaire. Cette crise devra être l’occasion de repenser l’avenir du tourisme marocain en stimulant la demande, en améliorant les conditions d’accès, en préservant la diversité du tissu d’acteurs et l’expérience Maroc à très court terme et, enfin, en renforçant les fondamentaux pour bâtir une industrie du tourisme plus forte, plus durable et plus résiliente.
Avec confiance et détermination, nous devons renforcer la démarche collaborative de construction avec les pouvoirs publics qui est plus que jamais nécessaire. L’objectif est de relever ensemble les défis liés au développement durable de l’industrie du voyage et de l’hospitalité de demain grâce à la mise en œuvre d’écosystèmes
de nouvelle génération incluant de nouveaux clusters (Medina Lab, Garden Lab, Sport Lab, mobility Lab..). Ce programme d’incubateur encourage l’innovation et la créativité pour stimuler la conception de nouvelles expériences et leur intégration dans les circuits de distribution.
Le tourisme interne a-t-il permis de pallier un peu les arrivées des voyageurs étrangers ? Doiton développer davantage ce segment à l’avenir ?
Le tourisme domestique est un choix stratégique que nous devons consolider et développer pour bâtir une économie plus résiliante et pour jeter les bases de quelque chose de plus grand pour notre pays et au profit des citoyens et de leur bien-être.
Il n’est pas là pour pallier les arrivées des voyageurs étrangers.
Des mesures d’appui à la demande interne sont nécessaires afin de renforcer l’accès des citoyens marocains à une o »re en transport, en hébergement et en animation adaptée à leurs pouvoirs d’achat. Des solutions comme les chèques vacances défiscalisés peuvent être proposés à large échelle, avec la régionalisation du calendrier des vacances scolaires. Nous militons également pour une promotion et des incitations au développement d’une o »re d’animation diversifiée, d’expériences familles de qualité et des concepts d’hébergement alternatif plus accessibles comme les auberges, les campings, les gîtes… Il ne faut plus demander à tous de cibler le haut de gamme.
Aujourd’hui, la consolidation du tourisme intérieur implique une certaine démocratisation du tourisme pour le rendre à la portée du plus grand nombre.
Selon vous, quels sont les problèmes structurels qui touchent le secteur touristique et quelles sont vos recommandations pour y faire face ?
Nous avons, au sein de la Confédération Nationale du Tourisme, proposé un pacte responsable avec 10 mesures prioritaires qui sont les actions urgentes à mettre en place pour assurer une reprise pérenne.
Ces mesures proposées s’inscrivent dans la continuité des dispositions prévues par le Contrat Programme conclu le 3 août 2020, que la CNT propose, au regard du contexte actuel, d’amender et de prioriser. Nous espérons à présent que les délais pour leur mise en application soient, comme la tutelle nous l’a promis, rapides afin que nos entreprises puissent rester debout.
À côté de cela, le secteur a besoin de reconstruire les autoroutes aériennes, d’accélérer la digitalisation pour être compétitif et d’être à l’écoute des marchés en maintenant des contacts permanents avec les prescripteurs. Il doit aussi continuer à développer avec eux une o »re de qualité incluant des services encore plus personnalisés, en revendiquant son engagement pour un tourisme plus durable et responsable.
Propos recueillis par Nadia Kabbaj